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Le lendemain matin, Léo se réveilla avec un étrange sentiment de malaise. Ses rêves, inhabituellement vivides, s’attardaient dans son esprit comme un parfum persistant. Il s’étira, remarquant Luna perchée sur son bureau, fixant intensément son carnet de dessin.
« Qu’est-ce que tu regardes comme ça ? » lui demanda-t-il en se levant.
La chatte tourna brièvement la tête vers lui, puis reporta son attention sur le carnet, comme si elle attendait quelque chose.
Curieux, Léo s’approcha et ouvrit le carnet à la page de son dessin forestier. Il retint un cri de surprise — le dessin avait changé. La lumière qu’il avait dessinée au bout du sentier était maintenant clairement une clairière, et au centre de celle-ci se dressait une structure circulaire qui ressemblait à un kiosque de pierre blanche aux colonnes élancées.
« Je n’ai pas dessiné ça, » murmura-t-il, troublé.
Il effleura du doigt le dessin, sentant la texture du papier sous sa peau. Soudain, une sensation de picotement parcourut sa main. La page semblait vibrer sous ses doigts, émettant une lueur pâle qui s’intensifiait progressivement.
Effrayé, Léo voulut retirer sa main, mais quelque chose l’en empêchait — pas une force physique, mais une attraction irrésistible, comme si le dessin l’appelait.
La lumière devint aveuglante. Léo ferma les yeux, sentant une sensation de vertige l’envahir. Quand il les rouvrit, il n’était plus dans sa chambre.
Il se tenait au début du sentier forestier qu’il avait dessiné, entouré des mêmes arbres majestueux, des mêmes fleurs luminescentes, du même ruisseau scintillant. L’air était empli d’une odeur fraîche de mousse et de sève, avec une étrange note métallique qu’il n’aurait pas su décrire.
« C’est impossible, » balbutia-t-il, tournant sur lui-même. « Je dois rêver. »
Mais tout semblait trop réel pour être un rêve — la texture rugueuse des troncs d’arbres sous ses doigts, la fraîcheur de l’air sur son visage, le chant distant d’oiseaux inconnus.
Un mouvement attira son attention. Luna se tenait à quelques mètres devant lui sur le sentier, le regardant avec ce qui semblait être… de l’impatience ?
« Luna ? Comment es-tu arrivée ici ? »
La chatte fit demi-tour et commença à s’éloigner le long du sentier, s’arrêtant après quelques pas pour regarder en arrière, comme si elle l’invitait à la suivre.
Ne sachant que faire d’autre, Léo suivit Luna le long du sentier forestier. Tout autour de lui, la forêt pulsait d’une vie étrange et magnifique. Des créatures ressemblant à des libellules, mais avec des ailes comme du verre coloré, voletaient entre les branches. De petites lueurs bleues, semblables à des lucioles, dansaient au-dessus du ruisseau.
Après ce qui lui sembla être une dizaine de minutes, ils atteignirent une bifurcation. D’un côté, le sentier continuait vers la clairière lumineuse qu’il avait aperçue dans son dessin. De l’autre, il s’enfonçait dans une partie plus sombre de la forêt, où les arbres semblaient plus tordus, les couleurs plus ternes.
Luna s’arrêta à la bifurcation, regardant Léo avec une intensité troublante.
« Où sommes-nous ? » demanda Léo, bien que ne s’attendant pas à une réponse.
À sa grande stupéfaction, une voix résonna dans son esprit, claire comme si elle avait été prononcée à voix haute.
« Dans le monde que tu as créé, Léo. Dans Lumigraph. »
Léo fit un bond en arrière, regardant Luna avec des yeux écarquillés. « Tu… tu as parlé ? »
« Pas exactement, » répondit la voix dans sa tête. C’était indubitablement celle de Luna, féminine et mélodieuse, avec un accent qu’il ne pouvait identifier. « Je communique directement avec ton esprit. C’est plus simple ainsi. »
« Mais… les chats ne parlent pas, » protesta faiblement Léo.
« Les chats ordinaires, non. Mais je ne suis pas une chatte ordinaire, pas plus que cet endroit n’est un lieu ordinaire. » Luna s’assit, enroulant sa queue autour de ses pattes. « Tu as beaucoup de questions, je le sens. Mais nous n’avons pas le temps maintenant. Quelque chose approche. »
Comme pour confirmer ses paroles, un murmure sinistre s’éleva de la partie sombre de la forêt. Ce n’était pas un son naturel — c’était comme si des dizaines de voix chuchotaient simultanément, leurs mots indistincts mais leur ton clairement malveillant.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Léo, la peur serrant sa poitrine.
« Les Ombres Chuchotantes, » répondit Luna, se levant avec une soudaine urgence. « Elles sont attirées par ta présence. Nous devons rejoindre la clairière. C’est un lieu sûr. »
Le murmure s’intensifiait, et avec lui, une obscurité qui semblait s’écouler entre les arbres comme un brouillard vivant. Léo pouvait maintenant distinguer certains mots dans le chuchotement — des mots cruels, des insultes, des moqueries. Les mêmes mots qu’il entendait à l’école, les mêmes phrases qu’il lisait dans les messages sur son téléphone.
« Regarde qui voilà… L’artiste raté… »
« Personne ne t’aime ici… »
« Tu ferais mieux de disparaître… »
Léo sentit ses jambes faiblir sous l’effet de la terreur. Les ombres prenaient forme, s’étirant en silhouettes vaguement humanoïdes aux yeux lumineux et malveillants.
« Cours ! » cria la voix de Luna dans son esprit.
Léo n’eut pas besoin qu’on le lui dise deux fois. Il s’élança sur le sentier vers la clairière, Luna bondissant devant lui. Les ombres les poursuivaient, glissant sur le sol comme de l’encre vivante, leurs chuchotements se transformant en cris stridents.
Alors qu’ils approchaient de la clairière, une silhouette plus grande émergea des ombres, bloquant leur chemin. Elle était plus définie que les autres, avec une forme humanoïde enveloppée d’une cape de ténèbres tourbillonnantes. Son visage était un masque blanc, lisse et sans traits, hormis deux fentes en guise d’yeux qui brillaient d’une lueur rouge malsaine.
« Bienvenue dans mon domaine, petit créateur, » dit la silhouette d’une voix qui semblait faite de multiples chuchotements superposés. « Je suis Le Moqueur, et tu es sur mon territoire. »
Léo s’arrêta net, glacé d’effroi. Luna se plaça entre lui et la créature, le dos arqué, le poil hérissé.
« Ce n’est pas ton territoire, » répliqua-t-elle mentalement, sa voix résonnant assez fort pour que Léo et la créature l’entendent. « Lumigraph n’appartient à personne, surtout pas à une entité corrompue comme toi. »
Le Moqueur émit un rire qui ressemblait à du verre brisé. « Brave petite gardienne. Toujours à défendre les causes perdues. » Il tourna son attention vers Léo. « Sais-tu pourquoi tu es ici, garçon ? Sais-tu ce que tu as fait en dessinant ce monde ? »
Léo déglutit, incapable de répondre, paralysé par la peur.
« Tu as créé une porte, » poursuivit Le Moqueur, faisant un pas vers lui. « Une porte entre les mondes. Et à travers cette porte, je peux atteindre ton monde. Je peux répandre mes ombres, mes chuchotements, mes doutes. Je me nourris de la peur, de la honte, du désespoir. Et tu en es rempli, n’est-ce pas, Léo ? Plein de peur, plein de doutes, plein de honte. »
Les paroles du Moqueur frappèrent Léo comme des coups physiques. Chaque mot semblait trouver une faille dans sa confiance déjà fragile, élargissant les fissures, aggravant sa douleur.
« Ne l’écoute pas ! » cria Luna dans son esprit. « Ses mots n’ont de pouvoir que si tu y crois ! »
Mais c’était plus facile à dire qu’à faire. Les mots du Moqueur faisaient écho à toutes les insultes qu’il avait endurées, à toutes les moqueries qui l’avaient blessé. Comme si la créature lisait directement dans son âme.
« Faible, » siffla Le Moqueur. « Pathétique. Inutile. C’est ce que tu penses de toi-même, n’est-ce pas ? C’est ce qu’ils te font croire. »
Les Ombres Chuchotantes se rassemblaient autour d’eux, formant un cercle qui se resserrait lentement. Léo sentait sa respiration s’accélérer, la panique montant en lui comme une vague.
Soudain, Luna bondit vers Le Moqueur, une lumière dorée émanant de son pelage. « Maintenant, Léo ! » cria-t-elle mentalement. « Imagine une issue ! Crée-la ! »
Mais Léo ne comprenait pas ce qu’elle voulait dire. Créer une issue ? Comment ?
Le Moqueur repoussa Luna d’un geste négligent, l’envoyant valser contre un arbre. « Ton gardien est impuissant ici, dans les Zones Grises. Ici, c’est moi qui règne. »
Les Ombres s’approchaient, leurs chuchotements devenant assourdissants. Léo sentit quelque chose toucher sa jambe — comme des doigts glacés s’enroulant autour de sa cheville. Il baissa les yeux et vit une ombre s’accrocher à lui, commençant à grimper le long de sa jambe.
Dans un sursaut de panique pure, Léo ferma les yeux et souhaita désespérément être ailleurs — chez lui, dans sa chambre, loin de ce cauchemar.
Une sensation de chute le saisit, puis un flash de lumière aveuglante derrière ses paupières closes. Quand il ouvrit les yeux, il était de retour dans sa chambre, affalé sur sa chaise, son carnet ouvert devant lui.
Haletant, Léo regarda autour de lui frénétiquement. Tout semblait normal, comme s’il n’avait jamais quitté sa chambre. Avait-il rêvé ? Était-ce une hallucination ?
Un mouvement sur son lit attira son attention. Luna était là, le fixant de ses yeux verts impassibles.
« Luna ? » murmura-t-il. « Est-ce que… est-ce que c’était réel ? »
La chatte cligna lentement des yeux, puis sauta du lit pour venir se frotter contre ses jambes. Elle leva la tête vers lui, et dans son esprit, clairement, la voix féminine résonna à nouveau :
« Aussi réel que moi, Léo. Aussi réel que Lumigraph. Et aussi réel que le danger qui nous guette tous les deux maintenant que tu as ouvert la porte. »
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 38