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La nouvelle école des poissons était un vaste bâtiment en forme de coquillage spiralé, entouré d’anémones colorées qui ondulaient au gré des courants. Léane, vêtue de son débardeur bleu turquoise qui lui donnait l’impression d’être un petit bout d’océan, se tenait immobile devant l’entrée. Ses mains tremblaient légèrement, faisant vibrer la lanière de son sac à dos en forme d’étoile de mer.
« N’oublie pas, ma chérie, » avait dit la Gardienne du Phare en l’embrassant ce matin-là, « tu es une exploratrice. Et les explorateurs voient chaque nouveau territoire comme une aventure, pas comme un danger. »
Mais tandis que Léane contemplait les groupes d’enfants qui nageaient joyeusement vers l’école, parlant et riant comme s’ils se connaissaient depuis toujours, elle sentit l’Ombre de la Solitude s’enrouler autour de ses chevilles.
« Regarde-les, » chuchota l’Ombre, « ils sont tous déjà amis. Ils n’ont pas besoin d’une nouvelle. Surtout pas d’une qui repartira bientôt. »
Inspirant profondément, Léane fit un pas en avant. Elle pouvait le faire. Elle devait le faire.
La salle de classe ressemblait à une grotte sous-marine, avec des tables en forme de rochers plats et des chaises faites d’éponges marines. Les murs étaient décorés de dessins d’animaux marins et de cartes des différents royaumes des Mers Mouvantes.
« Bonjour, tu dois être Léane, » dit Madame Corail, la maîtresse, une femme aux cheveux aussi changeants que les récifs dont elle portait le nom. « Bienvenue à Récif-Nouveau. Veux-tu te présenter à la classe ? »
L’Ombre de la Solitude s’épaissit autour de Léane, et elle sentit sa gorge se serrer. Debout devant vingt paires d’yeux curieux, elle ouvrit la bouche, mais seul un murmure à peine audible en sortit.
« Je… je m’appelle Léane. Nous venons… d’arriver… »
« Parle plus fort, on n’entend rien, » lança un garçon au fond de la classe, déclenchant quelques rires.
L’Ombre semblait grandir, s’étendant comme un nuage d’encre de seiche. « Tu vois ? Je te l’avais dit, » murmura-t-elle à l’oreille de Léane.
« Léane adore les dauphins, » intervint Madame Corail avec un sourire encourageant. « N’est-ce pas, Léane ? »
À la mention des dauphins, Léane sentit une petite étincelle de chaleur dans sa poitrine. « Oui, » dit-elle, un peu plus fort. « J’ai lu tous les livres sur eux et— »
« Les dauphins ? Ils sont tellement ordinaires, » interrompit une fille aux cheveux noirs tressés comme des algues. « Tout le monde connaît les dauphins. »
Le visage de Léane s’empourpra, et elle baissa les yeux vers ses chaussures. L’Ombre rit doucement, un son comme des bulles qui éclatent tristement.
« Va t’asseoir à côté de Coralie, » indiqua Madame Corail, pointant vers une table vide près de la fenêtre.
La journée se déroula comme dans un brouillard. Pendant la récréation, Léane resta seule, assise sur un rocher, regardant les autres enfants jouer à « Poisson-Pêcheur », un jeu dont elle ne connaissait pas les règles. Personne ne vint l’inviter.
À l’heure du déjeuner, elle s’installa au bout d’une table, son repas dans sa boîte en forme de coquillage devant elle. L’Ombre s’assit à côté d’elle, prenant presque une forme solide maintenant.
« Tu vois comme j’avais raison ? » susurra l’Ombre. « Ils ne te voient même pas. Tu es comme ces créatures des abysses, invisibles dans les profondeurs. »
Une larme solitaire glissa sur la joue de Léane, se mêlant à l’eau de mer autour d’elle.
C’est alors qu’une ombre différente passa au-dessus d’elle. Mais celle-ci n’était pas froide ou effrayante. Elle était douce, élégante, et quand Léane leva les yeux, elle vit la forme gracieuse d’un dauphin nageant au-dessus de l’école.
Le dauphin avait une peau gris bleuté qui scintillait sous les rayons du soleil filtrant à travers l’eau. Son sourire permanent semblait directement adressé à Léane.
Sans réfléchir, elle se leva et nagea vers la cour, les yeux fixés sur le magnifique cétacé. L’Ombre tenta de la retenir, s’accrochant à ses jambes, mais pour la première fois de la journée, Léane ne sentait plus son emprise.
« Bonjour, jeune exploratrice, » dit le dauphin d’une voix douce et mélodieuse qui résonnait directement dans l’esprit de Léane. « Je suis Finn, le Dauphin Sage. Et je crois que tu as besoin d’un ami. »
Léane regarda autour d’elle, certaine que d’autres enfants devaient entendre le dauphin parler. Mais ils continuaient leurs jeux, comme si Finn était invisible pour eux.
« Ils ne peuvent pas m’entendre, » expliqua Finn, comme s’il lisait dans ses pensées. « Seuls ceux qui ont besoin de mon aide peuvent véritablement me voir et m’entendre. »
L’Ombre de la Solitude se rétracta légèrement, s’éloignant de la lumière qui semblait émaner du dauphin.
« Tu… tu es réel ? » demanda Léane, tendant une main hésitante.
Finn s’approcha, permettant à Léane de toucher son museau lisse. « Aussi réel que ton courage, petite exploratrice. Et bien plus réel que cette Ombre qui te suit. »
À ces mots, l’Ombre frémit et recula davantage, se repliant dans les recoins de la cour.
« Elle revient toujours, » murmura Léane, jetant un coup d’œil inquiet vers l’endroit où l’Ombre s’était réfugiée.
« C’est vrai, » acquiesça Finn, « mais je peux t’apprendre à la maintenir à distance, à l’empêcher de voler ta joie et ton courage. Retrouve-moi demain après l’école, près du grand récif de corail à l’est. Je t’attendrai. »
Avant que Léane puisse répondre, la cloche de l’école résonna, signalant la fin de la pause déjeuner. Quand elle regarda à nouveau, Finn avait disparu, laissant derrière lui quelques bulles argentées qui montaient vers la surface.
L’après-midi se passa comme la matinée, dans la solitude et le silence. Mais chaque fois que l’Ombre s’approchait trop près, Léane pensait au Dauphin Sage et à sa promesse, et une petite lueur d’espoir brillait en elle, maintenant l’Ombre à une distance supportable.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 40