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Le stade était silencieux comme jamais. Même le vent semblait retenir son souffle dans les feuilles des arbres environnants. La séance de tirs au but allait commencer, et Baptiste sentait son cœur battre si fort qu’il était sûr que tous les insectes pouvaient l’entendre.
La luciole arbitre plaça le ballon au point de penalty et appela les capitaines des deux équipes.
« Capitaine Mandibule pour les Scarabées Brillants, Dame Hésita pour les Hésitations Bourdonnantes, veuillez choisir vos cinq tireurs, » annonça-t-elle solennellement.
Le Capitaine Mandibule rassembla son équipe. « Qui se sent prêt à tirer ? » demanda-t-il.
Un silence gêné s’installa. Les scarabées se regardaient, hésitants. La peur de rater un penalty devant tout le stade était immense.
« Je vais tirer, » dit finalement Baptiste, serrant l’amulette de fourmi dans sa main moite.
« Moi auzzi, » ajouta Franck avec détermination malgré son zozotement.
« Je tirerai également, » déclara Rapido, retrouvant un peu de son ancienne assurance.
Ailé et Fortix se portèrent aussi volontaires, bien que leurs pattes tremblaient visiblement.
De l’autre côté du terrain, Dame Hésita désignait ses tireurs parmi les plus grands et les plus intimidants des bourdons. Mais Baptiste remarqua que la poudre violette autour d’elle continuait à diminuer, et que ses mouvements étaient moins assurés qu’avant.
« Les Bourdonnements commencent, » annonça la luciole arbitre.
Le premier bourdon s’avança, massif et menaçant. Le Capitaine Mandibule se plaça dans les buts, l’air déterminé. Le bourdon tira puissamment, mais le Capitaine plongea et repoussa le ballon d’une patte héroïque !
« Arrêt du Capitaine Mandibule ! » s’écria le grillon commentateur, tandis que les supporters des Scarabées explosaient de joie.
C’était maintenant au tour des Scarabées. Rapido s’avança, prit son élan et tira… Le ballon passa juste au-dessus de la barre transversale.
« Raté ! » annonça tristement le grillon.
Rapido baissa la tête, mais ses coéquipiers l’entourèrent immédiatement. « Ce n’est pas grave, » le rassura Baptiste. « Tu as osé essayer, c’est ça qui compte. »
Les tirs au but continuèrent, dans une tension croissante. Après quatre tirs de chaque côté, le score était de 2-2. Tout allait se jouer sur le dernier tireur.
Pour les Bourdonnements, c’était Dame Hésita elle-même qui s’avançait. Elle plaça le ballon, recula de quelques pas, et fixa intensément le Capitaine Mandibule. Le scarabée gardien ne cilla pas, concentré comme jamais.
Dame Hésita prit son élan et tira de toutes ses forces… Le ballon fila comme une flèche… mais heurta le poteau et rebondit en dehors des buts !
« Elle a raté ! » s’exclama le grillon, incrédule.
Le visage de Dame Hésita se décomposa. Elle qui n’avait jamais échoué, venait de rater le tir le plus important de sa vie. Elle tomba à genoux, les ailes basses.
C’était maintenant au tour du dernier tireur des Scarabées Brillants. Et c’était Baptiste.
Le petit garçon aux lunettes rondes et au pull rayé s’avança lentement vers le point de penalty. Ses jambes tremblaient tellement qu’il avait l’impression qu’elles allaient se dérober sous lui. Toute sa vie, il avait évité ce genre de moment, ce genre de pression. C’était exactement pourquoi il n’avait jamais voulu rejoindre le club de football à l’école.
Baptiste plaça le ballon et recula. Il sentait tous les regards posés sur lui : ceux des Scarabées Brillants qui comptaient sur lui, ceux de Franck qui l’encourageait silencieusement, celui de Maître Formix qui hochait doucement la tête, et même celui de Dame Hésita, qui l’observait avec une expression indéchiffrable.
Il ferma les yeux un instant et serra l’amulette de fourmi. Il se rappela tout ce qu’il avait appris ces derniers jours : que l’échec fait partie du chemin vers la réussite, que la peur est normale mais qu’elle ne doit pas nous empêcher d’essayer, que même les plus petites fourmis peuvent accomplir de grandes choses en persévérant.
Baptiste rouvrit les yeux, prit une profonde inspiration, et s’élança. Son pied frappa le ballon, peut-être pas avec la technique parfaite, mais avec tout son cœur. Le ballon s’éleva, vola vers le but…
Et entra directement dans la lucarne, impossible à arrêter pour le gardien bourdon !
« BUUUUUUT ! » hurla le grillon commentateur. « BAPTISTE MARQUE ! LES SCARABÉES BRILLANTS REMPORTENT LE TOURNOI ! »
Le stade explosa en cris de joie. Les Scarabées Brillants se précipitèrent vers Baptiste, le soulevant sur leurs pattes en le proclamant héros du jour. Franck sautait de joie, les larmes aux yeux. Même Maître Formix applaudissait de ses petites pattes de fourmi.
Au milieu de cette explosion de bonheur, Baptiste remarqua Dame Hésita, toujours à genoux sur le terrain. La poudre violette autour d’elle avait presque complètement disparu, et pour la première fois, elle semblait vulnérable, presque fragile.
Baptiste demanda à ses coéquipiers de le reposer au sol. Il s’approcha lentement de Dame Hésita.
« J’ai perdu, » murmura-t-elle, la voix brisée. « J’ai échoué devant tout le monde. »
« Oui, » dit doucement Baptiste. « Et pourtant, le monde continue de tourner. »
Il tendit la main vers elle. « Moi aussi, j’ai souvent peur d’échouer. C’est pour ça que je ne voulais pas rejoindre le club de football à l’école. Mais j’ai appris que rater n’est pas la fin du monde. C’est juste une étape. »
Dame Hésita leva les yeux vers lui, surprise par cette gentillesse inattendue.
« Selon notre accord, je dois quitter le jardin pour toujours, » dit-elle tristement.
Maître Formix s’approcha, s’appuyant sur son bâton d’épine de rose. « Peut-être pouvons-nous trouver un compromis, » suggéra-t-il. « L’hésitation n’est pas toujours mauvaise, Dame Hésita. Parfois, réfléchir avant d’agir est sage. Ce qui est problématique, c’est quand l’hésitation nous paralyse complètement. »
Le Capitaine Mandibule rejoignit la conversation. « Peut-être pourriez-vous rester dans le jardin, Dame Hésita, mais en utilisant votre pouvoir différemment ? Pour encourager la réflexion plutôt que la peur ? »
Dame Hésita semblait réfléchir intensément. La couronne d’épines sur sa tête commença à se transformer, les pointes acérées se changeant en petites fleurs délicates.
« Je… je pourrais essayer, » dit-elle finalement. « J’ai toujours pensé que la peur était la seule façon de se protéger dans ce monde. Mais peut-être y a-t-il d’autres moyens. »
Elle se releva et, à la surprise générale, tendit une patte vers Baptiste. « Merci, petit humain. Tu m’as appris une leçon importante aujourd’hui. »
Baptiste serra la patte du grand bourdon, sentant que quelque chose d’important venait de changer dans le Jardin des Merveilles.
La cérémonie de remise des prix fut joyeuse et colorée. Les Scarabées Brillants reçurent un trophée en forme de feuille d’or, et chaque joueur eut droit à une médaille en pétale de fleur cristallisé. Même Dame Hésita et son équipe reçurent des médailles d’argent, qu’ils acceptèrent avec un nouveau respect pour leurs adversaires.
Alors que la fête battait son plein, Baptiste et Franck se retrouvèrent un peu à l’écart avec Maître Formix.
« Il est temps pour vous de rentrer chez vous, mes jeunes amis, » dit la sage fourmi. « Votre aventure dans notre monde touche à sa fin. »
« Mais comment rentrerons-nous ? » demanda Franck, inquiet.
Maître Formix sourit (autant qu’une fourmi peut sourire). « La même porte qui vous a amenés ici vous ramènera chez vous. Mais avant de partir, j’ai un cadeau pour chacun de vous. »
Il tendit à Franck une petite graine brillante. « Ceci est une graine de courage, » expliqua-t-il. « Plante-la dans ton jardin, et elle te rappellera toujours que même les plus petits peuvent faire preuve d’un grand courage. »
À Baptiste, il donna une nouvelle amulette, plus belle que la première. « Celle-ci est spéciale, » dit-il. « Elle contient un peu de la magie du Jardin des Merveilles. Quand tu auras peur d’essayer quelque chose de nouveau, serre-la dans ta main, et tu te souviendras que l’échec n’est qu’une étape sur le chemin de la réussite. »
Baptiste attacha l’amulette autour de son cou, ému. « Merci pour tout, Maître Formix. »
Les Scarabées Brillants vinrent leur dire au revoir, ainsi que le Capitaine Mandibule qui leur offrit à chacun une petite élytre brillante en souvenir. Même Dame Hésita vint les saluer, sa couronne maintenant faite de fleurs délicates plutôt que d’épines.
« N’oubliez pas, » dit-elle d’une voix devenue douce, « un peu d’hésitation est parfois sage, mais ne la laissez jamais vous empêcher d’essayer. »
Maître Formix les conduisit jusqu’à la petite porte dorée qui les avait amenés dans ce monde merveilleux. Elle brillait doucement dans la lumière du soir.
« Au revoir, mes amis, » dit la sage fourmi. « Emportez nos leçons dans votre monde. »
Baptiste et Franck franchirent la porte, et immédiatement, ils se sentirent grandir, grandir, jusqu’à retrouver leur taille normale. La porte dorée disparut, ne laissant qu’un vieux tronc d’arbre ordinaire dans le jardin.
« Franck ! Baptiste ! Le goûter est prêt ! » appela la maman de Baptiste depuis la terrasse.
Les deux amis se regardèrent, se demandant si tout cela n’avait été qu’un rêve. Mais Baptiste sentit quelque chose contre sa poitrine, sous son pull rayé rouge et blanc. L’amulette de Maître Formix était toujours là.
« C’était réel, » murmura-t-il à Franck, qui sourit en montrant la petite graine brillante dans sa main.
« On y va ? » demanda Franck.
« Oui, » répondit Baptiste. Puis, après un moment d’hésitation, il ajouta : « Franck… je crois que je vais m’inscrire au club de football de l’école. »
« Vraiment ? » s’étonna son ami, les yeux brillants de joie.
« Oui. Peut-être que je ne serai pas très bon au début. Peut-être que je ferai des erreurs. Mais comme dit Maître Formix, l’important n’est pas de ne jamais tomber, mais de toujours se relever. »
Franck passa un bras autour des épaules de son ami. « Et ze serai là pour t’aider à te relever, Baptizte ! »
Ensemble, ils coururent vers la maison, leurs cœurs aussi légers que les ailes des papillons du Jardin des Merveilles. Baptiste serra l’amulette à travers son pull, sentant une douce chaleur se répandre dans sa poitrine. Il savait maintenant que la peur de l’échec ne disparaîtrait peut-être jamais complètement, mais qu’elle ne l’empêcherait plus jamais d’essayer.
Et le lendemain, quand sa maman Marie l’accompagna pour s’inscrire au club de football, Baptiste ajusta ses lunettes rondes sur son nez, prit une profonde inspiration, et franchit la porte du stade avec le même courage qu’il avait découvert dans le monde des insectes footballeurs.
Car il avait appris la plus importante des leçons : ce n’est pas l’absence d’échec qui fait un champion, mais la persévérance malgré les échecs.
Et quelque part, dans un jardin magique miniature, un scarabée aux élytres brillantes, une fourmi sage et même un grand bourdon à la couronne de fleurs, levèrent leurs pattes pour l’encourager dans sa nouvelle aventure.
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