— ⭐ —

La seconde mi-temps commença sous un ciel qui s’assombrissait. Des nuages s’amoncelaient au-dessus du stade, comme si la nature elle-même ressentait la tension du match.

Dame Hésita, maintenant sur le terrain, était une joueuse redoutable. Ses grandes ailes lui permettaient de voler au-dessus des autres joueurs, et sa taille imposante intimidait les Scarabées Brillants. Chaque fois qu’elle s’approchait d’eux, ils sentaient le doute les envahir à nouveau.

Pourtant, Baptiste et son équipe continuaient à lutter. Ils n’avaient pas encore réussi à égaliser, mais ils n’abandonnaient pas. Baptiste courait, passait, essayait de tirer, même s’il ratait souvent. Chaque fois qu’il faisait une erreur, il se relevait immédiatement, montrant l’exemple aux scarabées.

Le temps passait, et le score restait de 1-0 pour les Hésitations Bourdonnantes. Il ne restait que dix minutes de jeu quand un incident se produisit : Dame Hésita, frustrée par la résistance des Scarabées, commit une faute flagrante sur Minix, le bousculant violemment.

Le petit scarabée tomba et resta au sol, une de ses pattes pliée dans un angle inquiétant.

« Faute ! » cria la luciole arbitre en agitant son drapeau lumineux.

Tous les joueurs s’arrêtèrent. Baptiste et le Capitaine Mandibule coururent vers Minix, inquiets.

« Je ne peux plus jouer, » gémit le petit scarabée, des larmes dans les yeux.

« Nous avons besoin d’un remplaçant, » dit le Capitaine en regardant le banc de touche presque vide.

Il ne restait que Franck. Le petit garçon blond aux joues rondes se leva, prêt à entrer sur le terrain.

« Franck ! » appela Baptiste, inquiet. « Tu es sûr ? »

« Oui, Baptizte ! » répondit son ami avec détermination, malgré son zozotement. « Ze vais essayer ! »

Franck entra sur le terrain sous les murmures de la foule. Dame Hésita éclata de rire en voyant ce nouveau joueur un peu rond et maladroit.

« Encore un petit humain effrayé ! » se moqua-t-elle. « Cela ne changera rien ! »

Le jeu reprit avec un coup franc pour les Scarabées Brillants. Baptiste se plaça pour tirer, mais au dernier moment, il passa le ballon à Franck, qui se trouvait démarqué sur le côté.

Franck, surpris, contrôla maladroitement le ballon. Dame Hésita fonça vers lui, sûre de récupérer facilement la balle. Mais au moment où elle arrivait sur lui, Franck fit quelque chose d’inattendu : il sourit et dit simplement : « Bonzour, Dame Hézita ! »

Le bourdon géant, décontenancé par cette réaction amicale, hésita une fraction de seconde. C’était tout ce dont Franck avait besoin. D’un mouvement maladroit mais efficace, il passa le ballon à Rapido, qui s’élança vers le but adverse.

« Vas-y, Rapido ! » encouragèrent les Scarabées.

Le scarabée rapide fonça, évita deux bourdons, et tira. Le gardien des Bourdonnements plongea, mais trop tard. Le ballon franchit la ligne.

« BUUUUT ! » hurla le grillon commentateur. « 1-1 ! Les Scarabées égalisent ! »

Le stade explosa en acclamations. Les fourmis dans les gradins sautaient de joie, les coccinelles volaient en cercles excités, et même les libellules faisaient des loopings de célébration.

Dame Hésita était furieuse. Ses yeux violets lançaient des éclairs, et sa couronne d’épines semblait vibrer de colère. Elle vola jusqu’à Franck et le toisa de toute sa hauteur.

« Comment as-tu osé me distraire ainsi, petit humain ? » siffla-t-elle.

Franck, intimidé mais courageux, répondit : « Ze n’ai rien fait de spézial. Z’ai juste été poli. »

Baptiste rejoignit son ami, intrigué par ce qui venait de se passer. Il observa Dame Hésita attentivement et remarqua quelque chose d’étrange : quand Franck lui avait souri, la poudre violette autour d’elle avait momentanément diminué.

« Franck, » murmura Baptiste, « je crois que tu as découvert quelque chose d’important. »

Le match reprit, plus tendu que jamais. Il ne restait que cinq minutes, et le score était toujours de 1-1. Dame Hésita jouait maintenant avec une agressivité redoublée, déterminée à ne pas laisser les Scarabées prendre l’avantage.

Baptiste réfléchissait intensément. Si la gentillesse de Franck avait fait hésiter Dame Hésita, peut-être y avait-il là une faiblesse à exploiter ? Il se souvint alors d’une chose que Maître Formix avait mentionnée : « Dame Hésita tire sa force de votre peur. »

Une idée germa dans son esprit. Il rassembla rapidement ses coéquipiers lors d’un arrêt de jeu.

« J’ai un plan, » dit-il, « mais j’ai besoin que vous me fassiez confiance. »

Les scarabées hochèrent la tête, prêts à suivre leur jeune ami humain.

« Voilà ce que nous allons faire… »

Lorsque le jeu reprit, les Scarabées Brillants adoptèrent une stratégie étonnante : au lieu d’éviter Dame Hésita comme ils l’avaient fait jusqu’alors, ils commencèrent à lui sourire chaque fois qu’elle s’approchait d’eux. Ils lui disaient des choses gentilles, la complimentaient même.

« Vos ailes sont très belles, Dame Hésita, » dit Ailé en lui passant à côté.

« J’admire votre détermination, » ajouta Fortix après un duel pour le ballon.

Le grand bourdon semblait de plus en plus désorienté. Sa poudre violette diminuait visiblement autour d’elle, et ses mouvements devenaient moins assurés.

Baptiste comprit alors le secret de Dame Hésita : elle n’était pas seulement la source de la peur des autres, elle était elle-même guidée par la peur. La peur de ne pas être respectée, la peur de perdre son pouvoir, la peur d’être gentille et de montrer sa vulnérabilité.

Alors que les dernières minutes du match s’écoulaient, Baptiste se retrouva face à Dame Hésita au milieu du terrain. Le ballon était entre eux deux.

« Tu ne gagneras jamais, petit humain, » grogna-t-elle, mais sa voix tremblait légèrement.

Baptiste la regarda droit dans les yeux. « Ce n’est pas grave si nous perdons, Dame Hésita. L’important, c’est que nous avons osé essayer. »

Les yeux violets du bourdon s’écarquillèrent de surprise. La poudre autour d’elle vacilla, comme une flamme dans le vent.

« Et vous aussi, vous avez peur, n’est-ce pas ? » continua doucement Baptiste. « Peur de ne pas être assez forte, assez impressionnante. C’est pour ça que vous essayez de faire peur aux autres. »

Dame Hésita recula, déstabilisée. « Comment… comment peux-tu dire ça ? Je suis Dame Hésita ! Je ne crains rien ni personne ! »

Mais sa voix manquait de conviction. Baptiste vit une larme se former au coin de son œil composé.

« Nous avons tous peur parfois, » dit-il gentiment. « Même moi, j’ai peur de jouer au football, peur de faire perdre mon équipe. Mais j’ai appris que c’est normal d’avoir peur, et que l’important est d’essayer malgré tout. »

La poudre violette autour de Dame Hésita diminuait de plus en plus. Le stade était silencieux, tous les insectes suspendus à cette conversation inattendue.

C’est alors qu’une voix familière retentit depuis l’entrée du stade : « Il a raison, Dame Hésita. »

Maître Formix apparut, entouré de ses fourmis guerrières qui avaient réussi à le libérer. « La peur ne disparaît jamais complètement, mais elle peut devenir notre alliée plutôt que notre maîtresse. »

Dame Hésita regarda autour d’elle, voyant tous les insectes qui l’observaient sans hostilité, juste avec curiosité et peut-être même avec compassion. Sa couronne d’épines semblait moins menaçante, et ses ailes violettes avaient pris une teinte plus douce.

Le sifflet final retentit. Le match se terminait sur un match nul, 1-1.

« Match nul ! » annonça la luciole arbitre. « Selon les règles du tournoi, nous devons procéder à une séance de tirs au but pour déterminer le vainqueur ! »

Baptiste regarda ses coéquipiers, puis Dame Hésita. Le grand bourdon semblait perdu dans ses pensées, comme si un combat intérieur faisait rage en elle.

La séance de tirs au but allait commencer, et le destin des deux équipes – et peut-être de tout le jardin – allait se jouer sur quelques frappes de ballon.

— ⭐ —